ATE(LIÉ·E·S)



Ate(lié·e·s) est un dispositif proposant plusieurs entretiens autour de la thématique de l’atelier, du refuge , de l’émancipation et de la cabane. Chaque entretien est une vision d’un·e artiste, d’un·e artisan·e, d’un·e technicien·ne, d’un·e designer… sur son espace de production et de création. Par une question commune en introduction de chaque discussion Ate(lié·e·s) propose des pistes de reflexion, des lignes de tension, des points communs et des différences entre des personnalité·e·s du monde des arts (au sens large).



Ate(lié·e·s) est un projet alimenté par Lukas Ruelle, mis à jour le 1/06/24, composé en Asfalt et Monogrotesk

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lukasruelle@gmail.com


RETOUR EN ARRIÈRE
ALICE BOTTIGLIERO / 3.05.24


Alice Bottigliero grandi en Bourgogne, immergée dans le monde de la restauration, la cuisine et les bons produits.En 2010, elle intègre le lycée de la communication Alain Colas à Nevers et se spécialise dans le Design Graphique avec un goût particulier pour la couleur, les textures et médias imprimés.


En 2013, Alice est admise à l’École Nationale Supérieure des Arts Appliqués et des Métiers d’Arts Olivier de Serres
de Paris et en sort diplômée d’un BTS + DSAA.


À sa sortie d’école, elle fonde en 2017 Forme brute un studio de Design Graphique et de direction artistique. Depuis, Alice poursuit ses création avec son médium de prédilection (le papier découpé) mais s’essaye inlassablement à divers outils comme la gravure, la broderie ou encore le travail du bijou en laiton.
Lukas Ruelle : Bonjour Alice ! Je tenais à te remercier car ce n’est pas toujours facile de donner de son temps alors… merci !


Alice Bottigliero : Avec plaisir !


L.R. Comme tu t’en doutes j’ai quelques questions à te poser et c’est très intéressant car tu m’expliquais avant cet entretien que tu étais passé par des ateliers et que maintenant tu travailles depuis chez toi […] Ma démarche c’est de poser une question générale et d’approfondir avec ton parcours. C’est quoi pour toi l’atelier ? Réponse longue, courte, mots clés… tu es libres 
dans ta réponse !


A.B. Pour moi, l’atelier c’est un espace où tu vas te permettre d’être créatif·ve, de l'étape de la recherche à celle de l’exécution, dans une bulle. Une bulle dans laquelle tu vas pouvoir te permettre de créer quelque chose. Dans la dimension de l’atelier, il y a un côté presque plus plastique, casi proche du métier d’art : ébéniste, joaillier… Souvent les ateliers de graphisme comme Formes Vives, Bonne Frite, Geoffroy Phiton... c’est des gens qui vont travailler avec une dimension hyper plastique ! L’atelier y’a un côté moins snob !


L.R. C’est marrant car quelque part, tu réponds à la dernière question que j’avais prévu. J’essaye de démystifier le point commun dans les productions entre les ateliers de designers/plasticien·e·s (Palefroi, Bingo, ton travail…) ce retour aux formes naïves...


A.B. C’est marrant car moi bizarrement je me suis donné le nom de Forme Brutte en enlevant le préfixe studio car je devais me positionner. Je suis un peu paumé et je me repositionne sans cesse sur ce qui est plastique, ce qu’il est moins… J’ai monté ma boite dans la foulé des études et cela ma pris plus de 
3 ans avant de pouvoir en vivre. 


L.R. Tu avais déjà une pratique en atelier à Olivier de Serre ?


A.B. Non… C’était dommage car on te vendait sur le papier une école hybride avec des céramistes, des designers produits… En vrai c’était très peu poreux entre les sections, c’était un peu naze car il fallait se battre pour être aux côtés des designers textiles par exemple.


L.R. Tu as voulu rattraper cette pratique ‘manquée’ après l’école ?


A.B. Oui cela me faisait un peu rêver, tout en faisant une distinction avec l’organisation, le temps… En combien de temps tu es viable… Est-ce que tu as les fonds nécessaires pour le loyer… Je voulais surtout un endroit où expérimenter qui soit cool. Je suis hyper curieuse, je voulais et je veux toujours tester plein de mediums. 


[…]


L.R. J’étais passé à ton exposition à Belleville, on sent tout de suite que ton travail passe par la main, est-ce que tu considérerais que les scènes que tu représentes c’est des scènes que tu vas trouver chez toi ou que ton lieu de production va s’insuffler dans tes productions ?


A.B. Carrément ! C’est marrant que tu l’ai senti comme ça car c’est un peu l’idée. Dans ce que je fais vraiment à côté en collage, c’est ce que j’appel des moments refuges, des moments où tu es avec ta famille, un moment suspendu chez l’ostréiculteur, une tasse de café avant de rentrer dans la journée de travail… C’est des petits instants suspendus.


L.R. C’est génial que tu parles de refuge car dans ma recherche, je travaille l’idée de l’atelier comme refuge ; comme une stase pour aller vers l’émancipation. Est-ce que par ta bulle tu veux avec ton travail, te livrer au monde ?


A.B. C’est un sujet très délicat et une question que tout le monde se pose. J’ai ce double truc qui me paume où je me pose des questions entre ma pratique qui me fait vivre (restaurants, collabs, commandes…) et mon travail sous mon propre nom dans cette bulle dont on parle et que je me suis autorisé d’avoir pour m’affranchir de plein de trucs. C’est très compliqué en terme d’égo car tu te retrouves avec toi même contrairement aux clients qui te font savoir que tu travailles bien. Là tu te mets à nue et c’est déroutant. Tu t’affranchis, dans un art pour l’art… J’ai longtemps rejeté ça. Le fait qu’il y est un sens derrière… Faire des choses à côté… D’être curieuse, de découvrir de nouveaux mediums. Dans cette bulle je me mets un cadre pour ne pas trop partir dans tout les sens. Allons-y et pourquoi pas ? C’est assez poreux car dans le cadre de mon atelier, j’ai des commandes de clients qui veulent dans mon travail de graphiste mon univers plastique et plus personnelle.


L.R. On arrive presque sur le champ du graphisme auteur ?


A.B. Ouais carrément !  C’est en train d’arriver et cette limite et parfois très poreuse. Je sais plus sous quel post communiquer. Je ne te cache pas que je m’exprime là-dessus avec beaucoup de facilité car j’ai eu du temps. J’aime embrasser ma binarité. Si il me manque la photo dans mon savoir-faire, je passes une formation. 


[…]


L.R. Est-ce que tu ressens le fait de devoir être couteau-suisse ou du moins pluriel comme une forme de pression ?


A.B. Dans ma pratique non, avec un client oui. Je préfères l’orienter vers un spécialiste que de me lancer dans le code qui pour moi est ultra effrayant par exemple. J’ai quand même la volonté de découvrir des choses et d’améliorer mon matériel.


L.R. Sur cette question de technissisme, tu aimerais à terme avoir une table de sérigraphie chez toi par exemple ou tu as à cœur de séparer ta création du pure technissisme.



A.B. Mon truc idéal c’est un espace clos dans un vivier où je peux à la fois échanger avec les gens et à la fois m’isoler. J’ai déjà eu des expériences pas bonnes car les gens ne faisaient pas attention aux autres et ne pensaient qu’à eux. Moi je veux être dans un grand hangar, en indivuel, tout en partageant des espaces. Je veux pas être avec des zinzins et je ne veux pas non plus un silence absolu ! *rigole*


L.R. Un peu comme Villa Belleville ?


A.B. Oui complètement ! Mais ce truc de personnel et réservé me rassure beaucoup. Je suis très sociable mais dans pratique je sais et j’aime être plus solitaire. Puis aussi, juste l’idée de pouvoir stocker du matériel. Mon appart est tout petit, il est très mansardé, tout le reste c’est comme une cabine de bateau avec un vellux, j’ai un hamac tendu comme un coin lecture, j’ai un meuble avec mon matos… J’ai un peu bricolé mon espace et j’aime trop ! 


L.R. C’est extrêmement intéressant ! Est-ce que tu considérerais ton espace de production comme une cabane ? Y’a presque un retour à l’enfance ou tu construis ta hutte. 


A.B. Ah oui oui oui ! Quiconque rentre chez moi me dit « petite cabane ! ». C’est dingue. Je me suis trouvé un appart de 60m2. En lois carhèse il fait 12m2, je suis petite, y’a vraiment ce côté où j’ai appris à vivre avec peu mais des choses qui compte vraiment. Dans mon espace de taff, chaque objet, chaque peinture, pinceau, plaque de métal... a sa place, son importance. Je ne peux pas me permettre d’accumuler plein de merdes. Je veux pouvoir me dire : ça je veux en faire quelque chose. Je sais que j’ai ma machine, mes bouts de tissu.. et pouvoir y aller quand je veux. Je suis trop curieuse et parfois ça me rend un peu zinzin car je suis très impatiente, comme une enfant, et je veux des résultats tout de suite donc je dois déconstruire tout ça. J’aime avoir cet espace là !


L.R. Un grand merci à toi, c’était tellement intéressant ! 


A.B. Merci à toi !