Ate(lié·e·s) est un dispositif proposant plusieurs entretiens autour de la thématique de l’atelier, du refuge , de l’émancipation et de la cabane. Chaque entretien est une vision d’un·e artiste, d’un·e artisan·e, d’un·e technicien·ne, d’un·e designer… sur son espace de production et de création. Par une question commune en introduction de chaque discussion Ate(lié·e·s) propose des pistes de reflexion, des lignes de tension, des points communs et des différences entre des personnalité·e·s du monde des arts (au sens large).
Ate(lié·e·s) est un projet alimenté par Lukas Ruelle, mis à jour le 1/06/24, composé en Asfalt et Monogrotesk
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RETOUR EN ARRIÈRECHA GAUTIER / 7.05.24
Cha Gautier est imprimeuse en risographie depuis quelques années au sein de Quintal Atelier, un atelier de risographie parisien en pleine réorganisation de son espace de production.
En parrallèle de cette vie de technicienne, elle exerce aussi sa pratique du dessin qu'elle qualifie d'instinctif et de très hachuré.
Elle me retrouve pour discuter d'ateliers autour d'un matcha sur la terasse de Braun Note dans le IXe arrondissement de Paris.
Lukas Ruelle. Tu as un peu devancé mes questions en te présentant. À part te connaître en tant qu’imprimeuse je ne te connais pas très bien, tu as fait les Arts Déco c’est ça ?
Cha Gautier. C’est ça ! Et juste avant les Arts Deco j’ai fait une STD2A à Nantes. J’étais vraiment une tête au lycée et j’ai eu aucune école. J’ai été refusé de partout. Les grosses écoles parisiennes m’ont toutes dit non. Comme quoi rien n’est joué. Rentrer aux arts déco après c’était comme une claque. J’ai eu du mal avec la pédagogie mais y’a des machines, des choses à faire… C’est pas tous les jours que tu peux utiliser autant de machines.
L.R. Aux Arts Déco tu avais déjà cette envie de technissime ? Comme maintenant tu es à cheval entre impression et création.
C.G. Je voulais être bédéiste à la base, ça ne gagne pas et c’est compliqué. Tu dois suivre à la lettre certaines contraintes et j’ai ni la patience ni l’envi in fine. En faisant mon stage en troisième année avec Oscar Ginter, j’ai essayé de toucher à tous les ateliers. La découpe laser, la riso, le bois, le métal… La riso c’était la seule machine de l’école où tu ne payais pas l’impression. En cinquième année je suis allée à Bruxelles en Erasmus et j’ai passé 6 mois où je me suis rendue compte qu’ils n’avaient pas de moyen. Il y a une imprimante pour toute l’école et c’est tout. Ça te pousse à te demerder et à te tourner vers le pratique plus que le théorique. Je me suis même taté à rester à Bruxelles ! En dernière année j’ai invité mes potes sur un bouquin en riso.
L.R. C’était pas encore démystifier ?
C.G. Non du tout on ne nous montrait pas cette machine. La sérigraphie beaucoup plus et je vais sûrement me faire des ennemis mais pour moi c’est un truc de riche la sérigraphie. Quand tu sors de l’école tu peux pas te dire ah je vais me faire des prints en sérigraphie. Oscar m’a proposé un emploi et je me suis rendu compte que j’adorais être une technicienne, j’adore transmettre.
L.R. Est-ce le fait d’être dans ce monde tu as du temps pour tes illustrations ?
C.G. Psychologiquement je suis pas assez sereine. Être en atelier c’est aussi voir ce qu’il se fait et tu as toujours l’impression que quelqu’un l’a fait avant.
L.R. Tu arriverais à expliquer ce retour au dessin naïf ? Issu presque de chaque atelier.
C.G. Ça me parait instinctif.
L.R. Je sais pas si tu considères l’atelier comme un refuge ?
C.G. Quintal c’est une entreprise. Je suis salarié, je fais des prestations pour des clients. C’est pas comme en école, il y a des devis, des factures…
L.R. C’est marrant de voir l’application du mot atelier en suffixe à Quintal
C.G. Pour moi cela part du technique à la base en atelier. On est quand même sujet au micro-capitalisme, car oui, la micro-édition c’est du micro-capitalisme. Il faut prendre en compte que y’a des stagiaires, des employés… Ce n’est pas une entreprise classique, il y a des parcours différents et on gravite avec des gens de notre milieu. Il n’y a pas de segmentation, on se côtoie… je pense que cela vient de là.
L.R. Ça t’inspire le fait de changer bientôt d’espace ?
C.G. Ouais plutôt, le but c’est de garder l’espace qu’on a pour une galerie, pour montrer ce que l’on fait et faire des lancements sans être encombré avec les machines. On veut un plus grand lieu pour la production.
L.R. J’ai remarqué que tu es assez bricoleuse autour de la riso, tu dirais que le lieu te met dans une condition de débrouillardise ?
C.G. C’est l’esprit de Quintal avec les risos d’occasions. Les techniciens savent mettre en route mais ne savent pas la réparé. On a des discord(s) comme « l’amicale des riso francophone » ou autre… y’a une notion de collectif et d’anarchisme qui colle parfaitement avec le terme d’atelier. C’est une technique tchip, qu’on bricole, qu’on trafique. Il y a une vraie pratique qu’on échange, qu’on construit, par l’échange de pièces, mon copain peut m’en fabriquer en 3D… Il Faut que cela reste collectif ! C’est de la riso, il faut le propager. Si tu regardes chez Quintal tu as un corner de bouquins de Riso dans le monde et tu te rends compte que dans le monde on a tous·tes une pratique et une approche différentes en fonction des cultures.
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L.R. Et tu te sens bien dans l’atelier actuellement ?
C.G. Mais grave ! Le fait d’être pignon sur rue, les gens pensent aussi avec cette ambiance d’atelier qu’ils sont prioritaires et cela rend quelques personnes désagréables. Il n’y a pas de hiérarchie dans les commandes.
L.R. Et ton atelier de rêve c’est quoi ?
C.G. Pour moi c’est la rivière à l’envers, si tu connais pas, c’est un conte où un monsieur a une boutique ou il a absolument tout ce que tu lui demandes sauf une goutte de la rivière à l’envers. Cela le force à être dans une approche de réinvention qui le tient en haleine. Il propose tout, mais jamais vraiment tout il y a toujours quelque chose à découvrir. C’est un peu ça que j’imagine moi.
L.R. On s’ouvre sur le monde est pourtant on veut toujours être dans une bulle. Cela te parle l’idée de cabane comme atelier et inversement ?
C.G. C’est marrant car avec ma pote d’enfance, on l’a eu cette cabane où on produisait, on écrivait, on créait. On était pas coupé du mode mais comme protégé par une instance qui est déjà de l’ordre de la création. On produisait dans un espace qu’on avait produit. Mon grenier aussi, c’était cet endroit. Il y a une volonté très ludique de faire les choses soi-même, c’est gratifiant. Geeker et diguer la riso ça ma permit de voir qu’il était possible d’imprimer sur du tissu. Ça ouvre un champ immense de possibilités.
L.R. La technique et l’environnement participe maintenant à ta façon de créer aujourd’hui ?
C.G. Ah mais totalement, bien que je me laisse toujours une marge de découverte ou de réorientation dans mon idée première. Ma dernière affiche, j’ai eu le temps de découper mes couches mais d’amener quelque chose d’un peu aléatoire avec l’aérographe. C’est long, j’aime pas trop, mais il faut !
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L.R. Merci CHA !
C.G Merci à toi et merci pour le matcha !