ATE(LIÉ·E·S)



Ate(lié·e·s) est un dispositif proposant plusieurs entretiens autour de la thématique de l’atelier, du refuge , de l’émancipation et de la cabane. Chaque entretien est une vision d’un·e artiste, d’un·e artisan·e, d’un·e technicien·ne, d’un·e designer… sur son espace de production et de création. Par une question commune en introduction de chaque discussion Ate(lié·e·s) propose des pistes de reflexion, des lignes de tension, des points communs et des différences entre des personnalité·e·s du monde des arts (au sens large).



Ate(lié·e·s) est un projet alimenté par Lukas Ruelle, mis à jour le 1/06/24, composé en Asfalt et Monogrotesk

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lukasruelle@gmail.com


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ISMAHANE POUSSIN / 19.05.24


Ismahane est une artiste et/ou designer pluridisciplinaire française basée à Paris, diplômée d’un BTS design graphique à l’école Duperré puis d’un DSAA design typographique à l’école Estienne.

Travaillant souvent sur plusieurs mediums simultanément, traditionnels ou digitaux, elle a une démarche artistique exploratoire, nourrie d'une éternelle curiosité. Elle croit aux rencontres entre différents domaines et à l'expérimentation de nouveaux procédés. Ses questionnements graphiques principaux s’axent autour de la limite des différents médiums et de comment créer en se fixant des contraintes, des règles du jeux. C’est dans la lignée de ces questionnements qu’elle consacre une grande partie de sa pratique au tricot sur une machine à tricoter hackée, avec laquelle elle explore la frontière entre dessin de caractère et motifs.

Enfant d’internet, elle est très tôt attirée, voire fascinée, par l'esthétique naïve et vibrante des premiers ordinateurs. Ces images des débuts de l’ère digitale ne la quittent jamais et constituent sa principale source d’inspiration. Elle s’intéresse également aux contres-cultures visuelles comme le fanzine, l’art brut, et l’univers graphique des musiques post-punk & électroniques.

Ce sont ces esthétiques low-fi qui ont également contribué à sa passion pour la maille - medium auquel on peut prêter des caractéristiques et une histoire communes aux fondements de l’ordinateur.

De toutes ces inspirations découlent une identité graphique riche d’une multiplicité de formats, de supports, de mediums et de techniques, amenant vers des éléments visuels travaillés à l’extrême. Elle aime amener par son travail une réflexion et une interprétation personnelle de lae lecteurice, créant entre elle et elleux un dialogue semblable à ceux qu’elle aime mener dans sa vie quotidienne.
Lukas Ruelle. C’est quoi pour toi l’atelier ?


Ismahane Poussin. C’est un espace de développement de soi. Une découverte de soi plutôt. Un espace de liberté par rapport à sa propre démarche. Quand je cherchais un atelier c’était parce que travailler chez moi c’était une contrainte. J’avais besoin d’un espace dédié. Développer ma pratique dans un lieu propre. C’est ma grotte. Mon antre de la création. *rigole*


L.R. Tu considérerais l’atelier comme un refuge ?


I.P. Oui complètement ! Un lieu où tu peux te poser des questions. Je passe un SAS où je viens spécialement ici pour développer ma pratique sans me poser de questions. Cela segmente ma vie personelle et ma vie créative. Je paye un atelier, j’ai déplacé mon matos, je viens pour quelque chose ! Plus trop le choix et c’est vivifiant ! Essayer de me débrider en somme.


L.R. Tu te plais bien en atelier collectif ?


I.P. J’aime bien l’entredeux. Venir ici ma fait rencontrer des gens. Pour la vie sociale et la pratique c’est important. Les visions sont différentes, l’ambiance est cool, les gens sont dans un tâtonnement de leur carrière donc c’est génial. On essaye de monter une expo pour juin et c’est génial d’être entre la création et l’idée d’être curatrice. Un cocon pour se concentrer au sein de quelque chose de plus grand c’est génial. Ici il n’y a pas de murs, on est ouvert sur l’extérieur. 


L.R. Ton espace se ressent dans ta manière de travailler ?


I.P. Carrément ! J’ai du mal à travailler chez moi. Je boss 3 jours par semaine en entreprise et quand je boss de chez moi c’est beaucoup plus dur. J’ai une capacité de concentration peu élevé. Mais quand je suis dans un tunnel je travaille pendant des heures. L’atelier me propose cet espace sans divertissement. Ma machine pour tricoter par exemple, c’est mieux quand elle est à un seul endroit car les paramètres bougent dès que tu dois la déplacer. Un enfer ! *rigole* 


*me présente sa machine à tricoter* J’ai appris un peu toute seule et il n y a pas beaucoup de ressources… C’est un outil pour explorer. L’atelier me permet de me focus et cela change ma manière de travailler. Quand je viens, je dois travailler. Si l’atelier était à côté de chez moi, j’y serai tout le temps.


[…]


L.R. Tu n’en es est pas au stade de te sentir plus chez toi ici en atelier ?


I.P. Je crois qu’on aspire tous à ça. Il est confortable sans trop l’être… cela reste une tour en décrépitude. Mais j’aspire à ça tout de même. Un atelier qui devient chez toi.


L.R. Tu es à l’aise à faire du design en atelier ?


I.P. J’avoue que je ne me sens pas trop à l’aise. Au début je me mettais beaucoup de pression, comme ici il n ya que des artistes, et moi avec mon petit bureau j’ai un peu du mal à me sentir légitime. Pourtant la pratique du design graphique rentre de plus en plus dans les arts.


L.R. T’as plein de studio de design qui s’appellent « atelier » sans en être un. Tu penses que c’est le mot studio qui fait peur ?


I.P. Ouais carrément. Le terme atelier je me dis ok, je les imagines travailler ensemble, à expérimenter loin de l’ordinateur… et pourtant ! C’est pour donner un côté on boss la matière, on boss les formes…


L.R. Cela te fait peur d’être pluriel dans les compétences ? Cela t’effraie ?


I.P. Je me sens plutôt mal d’être un couteau suisse et en même temps il le faut. C’est devenu une sorte d’obligation. Je suis pas spécialiste dans un domaine et parfois j’aimerai l’être. L’atelier lui il t’accompagne dans l’idée d’apprendre sur le tas. Je suis révolté contre les gens qui te demandent d’être spécialiste dans chaque domaine. C’est pour ça que les gens finissent pas se retrouver en atelier et se réfugier comme on le disait juste avant. Tu te dis pas en atelier : je dois être pro.


L.R. Tu considères ton espace de travail comme un espace de lutte ou comme un espace où tu organises la lutte ?


I.P. Le fait d’être ici, dans la Tour Orion, tu luttes déjà. On est en compétition avec des promoteurs qui veulent détruire la tour. On se bat pour montrer qu’on revalorise le lieu. On occupe. On est tous·tes concerné·e·s par ça. On échange pour la pluspart avec le SNAP CGT, tout le monde sait qu’on est dans une démarche de défense. Le fait d’être ici c’est déjà un geste politique. On occupe, on est là, on veut exister, on veut des espaces. 


L.R. Merci Ismahane ! 


I.P. Merci à toi !