Ate(lié·e·s) est un dispositif proposant plusieurs entretiens autour de la thématique de l’atelier, du refuge , de l’émancipation et de la cabane. Chaque entretien est une vision d’un·e artiste, d’un·e artisan·e, d’un·e technicien·ne, d’un·e designer… sur son espace de production et de création. Par une question commune en introduction de chaque discussion Ate(lié·e·s) propose des pistes de reflexion, des lignes de tension, des points communs et des différences entre des personnalité·e·s du monde des arts (au sens large).
Ate(lié·e·s) est un projet alimenté par Lukas Ruelle, mis à jour le 1/06/24, composé en Asfalt et Monogrotesk
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lukasruelle@gmail.com
RETOUR EN ARRIÈREMARION BONJOUR / 7.05.24
Issue d'une pratique des arts graphiques, de l'ébenesterie et technicienne sérigraphe, Marion Bonjour travail depuis quelques années au sein du Collectif Atelier Téméraire dont elle en est la fondatrice et tenancière.
Atelier Téméraire partage des textes anarchistes,queers, politqiuement engagés et sur divers sujets sous la forme du fanzine et du print.
Le collectif étant de partout en France, la pratique collective passe par internet et par des canaux de discussions comme Discord. Je retrouve Marion en visio pour échanger sur cette idée d'atelier dématérialsé.
Lukas Ruelle. Bonjour Marion, ton profil est très intéressant selon moi car il est collectif, avec Atelier Téméraire et surtout il est comme dématérialisée comme voues êtes au sein de cet atelier de partout en France. J’imagine que c’est le cas ?
Marion Bonjour. Oui complètement ! On peut le dire !
L.R. C’est quoi un peu ton parcours pour commencer ?
M.B. J’ai un parcours assez atypique. Je vis à Brest, plus petite métropole de France. J’ai 33 ans et j’ai commencé mes études sup post-collège avec un CAP suite à un décrochage scolaire puis pendant 5 ans j’ai fait une formation pour être ébéniste. J’ai fait un brevet des métiers d’art, une formation d’initiative locale en restauration de meubles anciens. Je suis venue en Bretagne après une période d’errance pour travailler. J’ai passé mon bac en candidat libre, en STD2A. J’ai pu rentrer en école d’art après. J’ai fait trois ans à l’ESAD Lorient, en DNAP, communication pour après faire une DNSEP design graphique à l’esadar le Havre. Je suis venu à Brest après des opportunités pour vivre. Je suis ici depuis 2017.
L.R. Tu considérerais que tu t’y plais ?
M.B. Y’a des hauts et des bas, c’est le bout du monde dans tous les sens du terme. On est assez isolé en termes d’accès à la culture. Y’a une forme de culture ici bien entendu surtout en période de tourisme. C’est la vie dans une zone touristique quoi. C’est un cadre de vie incomparable d’un autre côté.
L.R. Et vous êtes tous éparpillés au sein de ton collectif ou vous êtes plusieurs à Brest ?
M.B. Mon conjoint est à Brest, ensuite les gens sont de Rennes, Strasbourg, Bruxelles, Corrèze…
L.R. Je trouve ça très intéressant de devoir travailler à distance. La première question que je pose généralement c’est qu’est-ce que c’est pour toi l’atelier ?
M.B. Pour moi, l’atelier c’est un espace physique ou dématérialisé. C’est aussi un espace mental. C’est à dire que l’atelier n'est pas un studio, c’est assez différent. Sachant que moi j’ai travaillé dans des ateliers bois avec une vraie rigueur, à être à son établi, à connaître ses outils… Sachant que je suis sérigraphie aussi, il y’a une vraie technicité. Il faut pouvoir s’y retrouver, avoir une vraie organisation. Cela demande une hygiène, pas dans le sens sanitaire mais dans son sens premier.
L.R. C’est marrant car tu évoques l’atelier sous le prisme du technissisme. Vous avez un atelier ? Un endroit que tu considères comme atelier ?
M.B. C’est notre salon Discord. L’endroit où l’on se retrouve tous·tes. Sinon il y a notre Frama Space.
L.R. Tu trouves qu’il y a un work in progress intéressant en dématérialisant la production ?
M.B. En distanciel, on n’habite pas le quotidien des gens. On a tous·tes nos vies et on se focus vraiment sur nos fanzines etc. On va travailler en version : « J’ai fait un draft, je soumets la V1 à un vote… » C’est laborieux mais tout passe par de la trace écrite. Tu peux partir pendant 1 mois et rattraper les comptes rendus. Il n’y a pas d’interpersonnel, c’est sur des PDFs et cela demande une certaine rigueur. Cela demande aussi d’aimer écrire des comptes-rendus. On ne laisse personne de côté, on peut partir un moment et être au même niveau que tout le monde. C’est une démocratie transparente. Souvent c’est une charge mental non extraite quand tu vas travailler avec intel ou intel, à propos de la maintenance d’un local ou d’une machine. Si cela passe à l’oral on se perd, surtout avec la distance.
L.R. Tu trouves que cela se ressent dans vos travaux ?
M.B. Je n’ai pas l’impression que cela se ressente. On s’est justement posé cette question en travaillant sur la revue on aimerait une double page qui montre nos démarches : tickets de caisse, tickets de péage, achats…
L.R. Tu as toujours imaginé travaillé en collectif ? Tu arrives à te retrouver seule sur des projets ?
M.B. C’est plus dur les projets personnels et pour plein de raison. Moi j’aime bien travailler en collectif, en trio ou duo. Même si la production est estampillée Marion Bonjour, il y a toujours quelqu’un à qui on montre son travail. On travail jamais vraiment seul·e. En collectif, même si cela est épuisant, cela permet de dégager des questions d’égo. Cela recentre la production. Pouvoir partager le travail avec d’autres, sur des idées… Cela gagne toujours en maturité de faire à plusieurs.
L.R. Cela vous arrive des cohésions de groupe physique ?
M.B. On a essayé et très vite on se demande à quoi cela sert. Les productions sont souvent assez malheureuses… *rigole*
L.R. Donc une démarche plutôt en ligne ?
M.B. Oui, même nos textes, on trouve tout sur des sites d’archives anarchistes, des infokiosques mais aussi la French theory (Foucault, Deuleuze…). Trou noir aussi, des ami·e·s, acceptent que l’on republie des trucs en pirate.
L.R. Tu considérerais votre espace de travail comme un endroit de lutte ou comme un endroit où vous faite transiter la lutte ?
M.B. Je pense que l’organisation qu’on a est déjà transgressive, ce n’est pas révolutionnaire mais c’est quand même hors normes. On est une association sans salarié, tout le monde est bénévole, toutes les ventes repartent dans l’asso et/ou permettent de se payer des transports… se payer également des artistes en dehors du collectif comme par exemple une carte de vœux… On essaye de se payer nous sur de la prestation graphique également. Sur une prestation graphique, tu choisis combien tu veux laisser à l’asso. Par exemple, avec les ateliers d’éducation populaire à Brest, la personne qui réalise le workshop se rémunère et choisit son montant pour l’asso. Il y a par exemple la découverte du fanzinat. Par l’atelier, on propose aux gens de s’ouvrir sur le monde. À terme c’est quand même un système qu’on aimerait arrêter. Le budget nous amène aussi à penser nos projets en fonction. Faire des résidences par exemple, c’est un gouffre financier, un vrai carnage. C’est encore quelque chose de très compliqué.
L.R. C’est étonnant car votre organisation c’est déjà un work in progress, des aller-retours, des ajustements… Vous pensez l’asso comme un atelier au final.
M.B. Mais complètement ! Après, il faut réussir à se relever et trouver d’autres façons de faire.
L.R. Pour conclure, c’est quoi ton espace de rêve ?
M.B. Pour moi c’est un garage qui fonctionnerait comme une recyclerie. Je garde absolument tout ce que je trouve et j’ai besoin d’un espace où je peux mélanger les matériaux pour trouver de l’inspiration. J’accumule beaucoup de choses et il me faut l’espace pour.
L.R. Merci Marion !
M.B. Bon courage pour ton projet de diplôme !